dimanche 4 novembre 2012

"Ce n'était pas ici..."




















Pix : William Eggleston.

2 Avril
« Méditer sur le temps, essayer de savoir si le passé et l’avenir ont une valeur et existent réellement, nous mène jusqu’à un labyrinthe qui, bien que familier, n’en est pas moins impénétrable.
Nous changeons jour après jour, mais nous oublions toujours qu’il en va de même pour nos semblables. C’est peut-être ce que les hommes appellent solitude. Oui, c’est cela, ou alors il s’agit d’une superbe imbécillité.
Lorsque nous mentons à une femme, nous sommes de nouveau l’enfant perdu qui n’a aucun refuge dans son désarroi. La femme, telles les plantes, telles les tempêtes de la forêt vierge, tel le fracas des eaux, se nourrit des plus obscurs desseins du ciel. Mieux vaut le savoir tôt. Sinon, de terribles surprises nous attendent.
Un coup de couteau dans un corps endormi. Les lèvres nettes de la plaie qui ne saigne pas. Vertige, râle, quiétude finale. Ainsi en va-t-il de certaines vérités que la vie nous assène, l’indéchiffrable, l’indubitable, l’errante et indifférente vie.
(…) Au krak des chevaliers de Rhodes, dont les ruines s’élèvent sur une hauteur près de Tripoli, une tombe anonyme porte cette inscription : « CE N’ETAIT PAS ICI.» Il n’y a de jour que je ne médite ce mot. Ils sont si évidents et en même temps contiennent tout le mystère qu’il nous est donné de souffrir.
Oublions-nous vraiment une grande parie de ce qui nous arrive ? Ne serait-ce pas plutôt que cette portion de notre passé, telle une semence, un encouragement anonyme, nous aide à repartir vers un destin que nous avions sottement abandonné ?... » p38-41.


Alvaro Mutis, La neige de l’Amiral, Les Cahiers Rouges, Grasset, 1992.

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